— Chapitre 12 —

Loin de l'unité

Au début de l’année 1917, Jim avait été transporté à l’hôpital militaire de Frévent, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest d’Arras. Avant son départ, il avait consciencieusement lavé l’ensemble des vêtements de son paquetage et avait pris un bain afin d’éviter la propagation de poux et d’autres vermines[1]. Ces précautions furent pourtant peu efficaces. Jim se réveilla le premier matin couvert de poux. Les draps n’avaient pas été désinfectés correctement. Le tunnelier n’eut pas d’autres choix que de revêtir ses affaires propres qui furent aussitôt infestés. Hormis ce problème, l’hôpital était un lieu paisible. Jim eut la chance de profiter de belles journées ensoleillées. La campagne alentour était idéale pour envisager quelques promenades. À l’heure du thé, Jim s’asseyait à une table pour discuter avec d’autres patients à l’ombre de grands arbres. À sa grande surprise, le Néo-Zélandais se trouva entouré d’hommes venus des quatre coins de l’Empire. À sa droite se tenait un Canadien, à sa gauche un Australien et en face un Sud-Africain[2].

Son séjour fut toutefois de courte durée. Quatre jours plus tard, Jim embarqua à bord d’un train hôpital à destination d’Étaples. Situé sur une petite colline, près de la gare de la ville, surplombant la mer du Nord, le camp accueillait la plus vaste infrastructure militaire britannique du front occidental. Il était doté de plusieurs hôpitaux dont les centaines d’interminables alignements de tentes grises permettaient de soigner 40 000 blessés et malades. Le site était également le lieu de cantonnement des troupes en transit.

Un sergent prit en charge les hommes qui, comme Jim, pouvaient marcher. Le groupe fut conduit aux bains où chacun se déshabilla. Tous les vêtements furent emportés. Les objets personnels furent rassemblés dans un paquet et seraient restitués plus tard. Une fois nu, Jim attendit son tour pour entrer dans une baignoire remplie d’eau chaude[3]. Il se savonna sous l’oeil attentif du sergent qui, lorsqu’il fut satisfait, l’autorisa à sortir pour se sécher et endosser un uniforme propre. Conduit au mess, le tunnelier y dégusta un excellent repas[4]. Puis, il profita enfin d’un lit douillet sans pou, installé dans un hôpital canadien.

Les Néo-Zélandais étaient généralement réunis au sein de leur propre établissement médical, mais le manque de lits ne permettait pas de les garder simultanément. Au cours de l’année 1917, plus de douze mille néo-zélandais, toutes unités confondues, avaient été évacués en France et en Grande-Bretagne. Une grande partie était envoyée dans d’autres hôpitaux en attendant que de nouvelles places se libèrent[5]. Jim ne resta donc pas longtemps parmi les Canadiens. Au bout de quatre jours, il fut transféré au camp de base néo-zélandais. Revoir ses compatriotes fut pourtant plus difficile que de côtoyer des hommes provenant d’autres parties de l’Empire[6]. Jim assista à une scène étrange lors de son premier repas à la cantine. Au moment où les cuisiniers ouvrirent la porte pour servir les hommes, tous se jetèrent sur eux, tels des rugbymen dans la mêlée, ne laissant que de maigres restes au tunnelier. Cette situation tenait au mélange des soldats dont le lien avec les unités était rompu. Les officiers étaient séparés de leurs hommes, si bien que la communication et la discipline étaient difficilement maintenues au sein de la population du camp[7]. Les hommes étaient livrés à eux-mêmes au moment où ils avaient le plus besoin de leurs compagnons et de leurs supérieurs.

Après plusieurs jours d’attente, trois médecins auscultèrent enfin Jim. Le dos du tunnelier fut malmené pendant quelques minutes, à tel point que Jim se sentit de plus en plus mal. Son hernie devait être absolument opérée. L’intervention n’aurait pas lieu à l’hôpital d’Étaples, mais en Grande-Bretagne. Le nom du tunnelier fut donc inscrit pour le prochain départ, le mardi suivant. Deux jours avant de quitter le camp, un sergent qui avait contracté les oreillons, fut installé dans la même tente que Jim. Toutes les personnes susceptibles d’avoir été en contact direct furent mises à l’isolement. Jim rejoignit donc un camp de quarantaine, situé sur la route de Boulogne, à quelques kilomètres au nord d’Étaples. Les conditions de vie étaient déplorables dans cet endroit, entouré de clôtures de près de trois mètres de haut surmontées de fils barbelés, ressemblant davantage à une prison. Les hommes étaient cantonnés dans leur tente, privés d’activités. Le camp, lui même, ne possédait guère d’infrastructures de loisirs : pas de bibliothèque, pas de pièce pour écrire, pas de hall pour se rassembler. Quelques jeunes filles françaises vendaient, à travers les clôtures, des journaux, notamment l’édition française du Daily Mail, ainsi que des bonbons. Toutefois, ce marché prit fin rapidement lorsque les officiers en charge du camp découvrirent que les confiseries étaient fourrées de rhum. Après 28 jours d’enfer dans l’endroit le plus froid et le plus morne qu’il n’ait jamais connu, Jim fut renvoyé au camp d’Étaples. Il ne reçut aucune indication sur une nouvelle date de départ pour la Grande-Bretagne.

L’errance du tunnelier lui fit prendre conscience de la dure réalité des hôpitaux militaires et du rôle des médecins qui, s’ils devaient soigner leurs patients, devaient également les renvoyer au combat. L’un des camarades de tente de Jim était si mal en point que le Néo-Zélandais pensait qu’il partirait en Grande-Bretagne sans être examiné[8]. Pourtant, lorsqu’il fut ausculté, les médecins le regardèrent attentivement, le firent marcher en avant puis en arrière comme un pantin et décidèrent finalement de le réexpédier dans son unité. Jim devint de plus en plus excédé par Étaples. Les conditions de vie restaient précaires et son placement à l’hôpital se prolongeait sans perspective d’une opération chirurgicale. Jim trouva néanmoins du réconfort auprès de quelques anciens camarades de sa compagnie récemment admis. Ces contacts l’incitèrent à vouloir revenir dans les tranchées. Le tunnelier profita que l’un de ses camarades, Gordon Graydon, connaissait un médecin du camp pour officialiser un départ[9]. Profitant du stationnement à Étaples d’un renfort de tunneliers de son unité, le 3e, parti de Nouvelle-Zélande en novembre 1916, Jim et d’autres anciens éléments le rejoignirent dans son dernier trajet vers le front.

L’état de santé du tunnelier ne lui permit pourtant pas de réintégrer son équipe de creusement. Le médecin de la compagnie, le docteur Richards, lui accorda sans hésitation une dispense et demanda à l’affecter à une mission beaucoup moins physique. Pour Jim, rien ne lui fit plus plaisir que de se retrouver parmi ses camarades et de retrouver une activité qui lui permit d’échapper à l’ennui des hôpitaux[10]. Les officiers lui confièrent d’abord la tâche de censurer le courrier de ses frères d’armes. Après quelques jours, ils le nommèrent assistant du sergent quartier-maître Thomas Rainbow, dont le rôle était de procurer aux hommes des biens de première nécessité, de rechercher et de répartir la nourriture, de gérer les munitions et le matériel ainsi que de trouver tout autre fourniture utile à la compagnie. Jim devait donc aller chercher les rations au magasin de la division et les apporter dans les cantonnements avancés sur le front[11]. Son retour dans les lignes avant lui permit de revoir Lofty qui n’imaginait pas son camarade encore en France. Après deux mois de séparation, leurs retrouvailles furent chaleureuses et animées par le récit de leurs péripéties. Jim aurait volontiers troqué sa distribution de rations contre le travail de creusement, mais son état de santé restait préoccupant et ses supérieurs s’en inquiétèrent.

à la fin du mois de juin, Jim reçut une permission de dix jours. Avant son départ, le lieutenant Holmes félicita son homme pour la médaille militaire qu’il avait obtenue pour son excellent comportement dans les tranchées, notamment durant la nuit de la disparition du lieutenant Durant et du sergent Pownceby. Il profita également de la discussion pour lui confier ses craintes sur ces problèmes de dos. Le lieutenant conseilla au tunnelier de se faire porter malade pendant sa permission et d’essayer d’obtenir une opération. Il lui donna quasiment l’ordre de ne pas revenir[12]. Au terme de sa permission, le 9 juillet 1917, Jim alla consulter un médecin militaire avant son embarquement pour la France. Son état fut jugé critique et le tunnelier fut transféré à l’hôpital néo-zélandais de Walton-on-Thames, dans le Surrey, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Londres. Cet établissement accueillait en priorité les blessés néo-zélandais débarqués à Douvres. Ceux débarquant à Southampton étaient acheminés dans un second hôpital, situé à Brokenhurst, dans le Hampshire, à une quinzaine de kilomètres de Southampton[13]. À ce dispositif s’ajoutaient deux principaux camps de convalescence à Hornchurch et à Codford. Le premier, situé près de Londres, pouvait accueillir environ 1 000 personnes[14]. Le second se trouvait dans les plaines de Salisbury, à près de cinquante kilomètres au nord-ouest de Southampton, doté de 2 500 à 3 000 lits[15]. Il devait à l’origine remplacer le camp de Hornchurch, mais le nombre important de blessés empêcha sa fermeture.

À Walton-on-Thames, Jim subit une nouvelle visite médicale qui mit sa colonne vertébrale à rude épreuve. Après avoir fait penché en avant et redressé son patient à plusieurs reprises, le médecin expliqua à Jim qu’entre deux de ses vertèbres, le disque intervertébral, une sorte d’amortisseur, s’était abîmé créant une hernie. Une intervention chirurgicale s’imposait pour soulager la compression de certaines racines nerveuses à l’origine de ses douleurs récurrentes. Trois jours plus tard, le tunnelier passa en salle d’opération et dut garder le lit durant trois semaines[16]. Pas tout à fait remis, il obtint deux semaines supplémentaires dans un autre hôpital, installé dans un hôtel réquisitionné par le ministère de la Guerre et dévolu aux Néo-Zélandais, dans la ville voisine de Weybridge. L’immense parc arboré entourant la grande demeure en briques rouges du XVIIIe siècle lui donna l’illusion d’être au paradis. Le tunnelier se lia d’amitié rapidement avec Mick Walsh, un soldat qui avait perdu une jambe. Tous deux plaisantaient à longueur de journée et se trouvèrent surtout un hobby commun pour les paris sportifs. Jim fut rapidement remis sur pied, puis fut expédié au camp de convalescence de Hornchurch.

Si Weybridge avait été un havre de paix, Hornchurch en était tout l’opposé. En effet, le camp possédait un secteur de remise en forme et d’entrainement pour les hommes qui sortaient de l’hôpital. Trois catégories différentes se distinguaient[17]. La première, la classe A, était réservée aux soldats prêts physiquement à retourner dans leur unité. La deuxième, la classe B, comprenait les hommes qui devaient recevoir un entraînement, mais qui pourraient être renvoyés sur le front dans les six mois. La dernière catégorie, la classe C, était celle des individus signalés comme inaptes au service actif et qui attendaient leur transfert en Nouvelle-Zélande. Inscrit en classe B, Jim dut accomplir d’intenses exercices et participer aux parades militaires seulement cinq semaines après son opération. Son dos ne le supporta pas et le tunnelier fut mis au repos[18]. Jim changea une nouvelle fois de camp et fut acheminé vers celui des soldats du génie néo-zélandais, à Boscombe, dans la banlieue de Bournemouth, sur les côtes de la Manche.

Tenu définitivement éloigné du terrain d’entraînement, le tunnelier fut affecté auprès d’un cuisinier et de son commis à la cantine des sergents du camp. Les journées s’écoulèrent tranquillement entre la réception des livraisons de produits et la préparation des repas. Au début de l’année 1918, deux semaines de permission donnèrent l’occasion à Jim de revenir sur les terres qu’il avait découvertes deux ans plus tôt à son arrivée en Grande-Bretagne. Le Néo-Zélandais retrouva le chemin vers le Basset Arms, cet hôtel et pub où il était descendu durant plusieurs week-ends avec ses acolytes de l’époque, le sergent Tom Jones et le caporal-suppléant Francis Clifford[19]. En y entrant, la patronne s’adressa à lui comme un client ordinaire, mais sa fille reconnut immédiatement Jim et, oubliant ses occupations, lui sauta au cou[20]. La meilleure chambre fut aussitôt préparée à son intention. Jim n’eut pas le temps de décliner l’offre qu’il fut amené à prendre place au comptoir, une pinte de bière posée devant lui, et incité à donner de ses nouvelles ainsi que de ses compagnons. Son pied à terre sur les côtes de la Cornouailles fut alors le point de départ de plusieurs excursions.

Nostalgique, le sapeur s’accorda une journée à Falmouth, la ville où avait été établi le camp des tunneliers pour leur dernier entraînement avant leur départ pour la France, en février 1916. Jim déambula sur le front de mer, le long des hautes maisons aux façades blanches et aux toits de tuiles grises. Plusieurs passants le regardèrent avec attention, scrutant les badges épinglés sur son uniforme. L’un d’eux s’approcha, hésita à lui poser une question, mais finalement ne put résister à lui demander s’il était Néo-Zélandais. Les gens de Falmouth n’avaient pas oublié le passage des tunneliers des antipodes[21]. Jim fut bientôt entouré d’un petit groupe d’hommes et de femmes le pressant de donner des nouvelles de son unité et de ses camarades.

Le soir, au Basset Arms, Jim buvait tranquillement sa bière près de l’âtre de la cheminée toujours accompagné d’un ou plusieurs habitués des lieux. En fin de soirée, Madame Coad, la propriétaire, et ses deux filles le rejoignaient pour discuter un peu avant de monter se coucher. Le tunnelier appréciait ces moments qui passaient trop rapidement. Sa permission touchait à sa fin et le retour à Boscombe approchait. Avant de partir, Madame Coad écrivit l’adresse du Basset Arms sur un petit morceau de papier au cas où Jim voudrait garder contact. Le sapeur promit d’écrire à toute la famille dès que possible. Le jour de son départ, la tenancière insista pour que Jim ne paie rien, rendant les adieux encore plus difficiles. À peine revenu au camp de Boscombe où il reprit son poste en cuisine, le tunnelier fit parvenir une chaleureuse lettre de remerciements à ses hôtes.

À la fin du mois de février 1918, toujours convalescent, Jim passa devant les médecins. Bien que l’opération l’ait soulagé d’une partie de ses douleurs, il ressentait encore quelques tensions dans le dos. Tout effort physique lui était désormais impossible et ne ferait qu’engendrer des lésions irréversibles. Jim fut donc classé inapte au service actif et placé sur la liste des hommes à renvoyer en Nouvelle-Zélande[22]. Le sapeur qui maintenait une correspondance avec sa sœur depuis son arrivée en Europe, s’empressa de lui transmettre la nouvelle, attendant désormais avec impatience le jour du départ. Or, aucune date ne fut fixée. Les jours se succédèrent, laissant bientôt place aux semaines puis aux mois, sans notification d’une quelconque démobilisation. La vie au camp de Boscombe se poursuivait, plutôt tranquille, et Jim qui travaillait toujours en cuisine, troquait quelques denrées contre de petits services auprès des sergents qu’ils côtoyaient au mess[23]. Il pouvait ainsi sortir tous les soirs et n’était jamais inquiété lorsqu’il revenait tard. Les week-ends, le tunnelier partait sur les routes anglaises à la découverte des villages et des villes aux alentours. Il affectionnait tout particulièrement l’église de Christchurch, coincée entre les bras des rivières Avon et Stour, et entourée de son parc arboré. Chaque visite lui faisait découvrir de nouveaux éléments architecturaux insolites et chargés d’histoires.

Au gré de ses pérégrinations, Jim rencontra une femme qu’il revit rapidement. Très épris, il l’invita à plusieurs reprises à l’accompagner dans ses balades et à aller danser le soir dans les clubs de Bournemouth. La relation prit fin brusquement lorsque le sapeur évoqua la possibilité qu’elle vienne le rejoindre en Nouvelle-Zélande dès qu’il serait rentré. Même si Jim aimait le sud de la Grande-Bretagne, il restait très attaché à son Dominion qu’il espérait bien revoir. L’expectative de son départ le frustrait d’autant plus que sa sœur s’attendait, à chaque lettre, à lire la nouvelle de son embarquement.

Au début du mois de septembre 1918, le sapeur lui annonça enfin qu’il allait bientôt revenir. Transféré à Torquay, une ville située en bordure de la Manche, dans le comté de Devon, son départ pour la Nouvelle-Zélande était imminent. Malheureusement, à peine arrivé, Jim fut pris de violents maux de tête, suivis de frissons et d’une sensation de froid intense. Aucune couverture, aussi épaisse soit-elle, ne parvenait à le réchauffer. Admis à l’hôpital de la Croix-Rouge, Jim avait les symptômes de la « grippe espagnole » qui venait juste de frapper la ville[24]. Ce virus s’était répandu rapidement en Amérique du Nord et en Europe au printemps 1918, avant de s’étendre au reste du monde[25]. La Nouvelle-Zélande fut ainsi touchée quelques mois plus tard, alors que l’épidémie semblait régresser en Europe. La maladie s’apparentait à une grippe banale qui ne fit que peu de victimes lors de la première vague. À partir du mois d’août, de nouveaux cas présentant une forme maligne de la maladie firent leur apparition en France et en Grande-Bretagne. La contamination fut difficile à endiguer tant le virus était virulent. Personne n’avait la moindre idée de son origine ni de la manière de soigner les victimes. Devant l’affluence des malades aussi bien civils que militaires, des bénévoles renforcèrent les équipes d’infirmières à Torquay. Jim, coincé entre deux autres victimes, était fiévreux et plongea dans un état second, empli de rêves, et parfois délirant. Le tunnelier revint néanmoins à lui au bout de quinze jours. Ses voisins n’avait pas eu cette chance et étaient décédés dans d’affreuses souffrances. Jim avait pu observer, alors qu’on le transportait dans une autre partie de l’hôpital, les visages de victimes parsemés de tâches brunâtres ou violettes, leurs pieds virant au noir. Il entendit certains patients suffoquer, luttant pour dégager leurs voies respiratoires des fluides libérés par l’infection. Une immense fatigue le maintint au lit pendant de longues semaines. Jim se rétablissait doucement entouré de bons camarades de chambrée, venus pour la plupart des États-Unis d’Amérique, et avec qui le tunnelier sympathisa rapidement[26]. Près d’un million et demi de soldats américains avaient déjà traversé l’Atlantique en octobre 1918. Si les mouvements de troupes avaient accéléré sa propagation, la grippe espagnole se fraya également son propre chemin à travers le monde. L’apparition de la deuxième vague en Europe coïncida avec d’autres dans les semaines qui suivirent en divers points du globe aussi éloignés que l’Afrique du Sud, le Japon, la Chine ou encore le Pérou.

Fin octobre, Jim avait repris des forces. Il put sortir de l’hôpital pour rejoindre le camp militaire de Torquay où il reçut l’ordre de préparer son paquetage pour le voyage de retour. Début novembre, il fut entassé avec d’autres soldats néo-zélandais dans un train pour Plymouth, puis embarqua à bord du Ayrshire. Ce navire de troupes était loin d’être à la hauteur du Ruapehu, le bateau qui avait amené Jim et ses compagnons en Grande-Bretagne trois ans plus tôt. Les lits étaient mauvais, la nourriture aussi et le voyage à travers les océans Atlantique et Pacifique bien terne[27]. Bien que fou de joie à l’annonce de l’Armistice, Jim fut frustré de ne pas pouvoir assister aux célébrations de paix. Lui et ses compagnons reçurent néanmoins, lors de leur escale à Cristobal, port de la côte Pacifique du Panama, un accueil très chaleureux fait de chansons patriotiques, de distribution de cigarettes et de bananes, de bain de foules. Ce débarquement contrasta sans aucun doute avec l’arrivée en Nouvelle-Zélande la veille de Noël[28]. Et pour cause, le Dominion se remettait à peine de la seconde vague de la grippe espagnole qui avait gravement sévi depuis deux mois. Bien que l’épidémie était circonscrite, le nombre de personnes infectées restait encore important. L’atmosphère qui régnait en ville choqua tellement Jim qu’il eut l’impression de rentrer dans une morgue[29]. Il était d’autant plus déconcerté qu’un pasteur était venu le trouver peu avant de regagner la terre ferme. Celui-ci lui avait annoncé le décès de sa sœur, emportée par le terrible virus un mois plutôt. Ce fut un choc terrible pour le tunnelier qui ne pouvait imaginer pire retour.

Notes

1. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de la Première Guerre mondiale de James Williamson, 2e partie, f° 7.

2. Ibid., « … nous nous sommes retrouvés par hasard à la même table après être venus de pays si éloignés. »

3. Ibid., 2e partie, f° 8, « Le sergent restait près de vous pour voir si vous vous laviez correctement. »

4. Ibid., « … le meilleur [repas] que j’ai eu depuis des mois ».

5. Christopher Pugsley, On the Fringe of Hell, New Zealanders and Military Discipline in the First World War, Auckland, Hodder & Stoughton, 1991, p. 149, « … les Néo-Zélandais essayaient d’être maintenus ensemble, et lorsque des lits se libéraient, ils étaient transportés vers les hôpitaux néo-zélandais. »

6. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de James Williamson…, op. cit., 2e partie, f° 8, « Les hommes semblaient très différents des Tunneliers. »

7. Christopher Pugsley, On the Fringe of Hell…, op. cit., p. 243. Personne n’anticipa ces problèmes qui aboutirent à une mutinerie le 9 septembre 1917. Ce n’était pas la première émeute, ni la dernière qui se produisit à Étaples. D’autres contestations éclatèrent lorsque les anciens du front, rétablis, subirent de nouveau le même entraînement que les novices. Les problèmes de discipline ne s’arrêtèrent pas avec la fin du conflit puisque, de janvier à mai 1919, un grand nombre d’émeutes éclatèrent alors que les démobilisés attendaient leur retour vers la Nouvelle-Zélande.

8. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de James Williamson…, op. cit., 2e partie, f° 10.

9. Ibid., 2e partie, f° 12.

10. Ibid., 2e partie, f° 14.

11. Ibid.

12. Ibid., 2e partie, f° 12, « Il [le lieutenant Holmes] me disait aussi […] de ne plus revenir et je ne revins pas. »

13. Christopher Pugsley, On the Fringe of Hell…, op. cit., p. 148.

14. Ibid., p. 151.

15. Ibid.

16. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de James Williamson…, op. cit., 2e partie, f° 18.

17. Christopher Pugsley, On the Fringe of Hell…, op. cit., p. 151.

18. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de James Williamson…, op. cit., 2e partie, f° 19, « Je disais au sergent que je venais juste de sortir de l’hôpital où j’avais subi une opération chirurgicale, mais il me répondit qu’il s’en fichait. En moins de 5 minutes, mon hernie était réapparue. »

19. Ibid., 2e partie, f° 20.

20. Ibid., « Comment la fille s’était rappelé de moi, je n’en savais rien car je ne l’avais pas revue depuis mon départ de Falmouth. »

21. Ibid., « … à en juger par les gens de Falmouth qui m’arrêtèrent pour me demander des nouvelles de différents camarades, ils n’avaient certainement pas oublié les tunneliers. »

22. Archives de Nouvelle-Zélande, AABK 18805 W5557 87/0123176, Dossier militaire de James Williamson – WWI 4/1320.

23. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de James Williamson…, op. cit., 2e partie, f° 20.

24. Ibid., 2e partie, f° 29.

25. Jay Winter, « La grippe espagnole », in Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918. Histoire et culture, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et de Jean-Jacques Becker, Paris, Bayard, 2004, p. 943-944.

26. Imperial War Museum, Documents.11515, Les mémoires de James Williamson…, op. cit., 2e partie, f° 30, « … ils [les Américains] étaient de gentils garçons et vous auraient donner n’importe quoi. »

27. Ibid.

28. Ibid., 2e partie, f° 37, « Nous sommes arrivés à Auckland le 24 décembre avec l’accueil le plus froid que je n’ai jamais reçu durant ma période sous l’uniforme. »

29. Ibid., « Revenir à Auckland était comme rentrer dans une morgue ».